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Témoignages
Témoignage de sberthellier le 02/10/2014 à 17:12
J'ai suivi les cours de M. MC Crate de thème en licence et Capes. Aller à ses cours était pour moi un pur bonheur. On apprenait que la traduction était un art. Toujours souriant, il aimait rire avec tant de tact de nos "sur traductions". Puis, il remontait ses lunettes et prenait un air sérieux et disait :"non, sérieusement...." ! Il nous parlais aussi de son Ecosse et de sa passion pour la peinture et la musique.
Dans un texte, il y avait cette phrase à traduire : "il cria! Pas de réponse". Nous avions traduit presque littéralement cette tirade. Mais M. MC Crate nous dit : "attendez, ce texte ne vous rappelle pas le style de Bob Dylan??? Il y a le titre d'une de ses chansons qui traduit très bien cette tirade : "he shouted" The answer is blowing in the wind". Nous étions épatés!!! L'année suivante (en Capes), il nous redonne ce texte. Je traduis ce passage comme il l'avait fait et à la correction, je vois "sur traduction". Je lui demande pourquoi. D'un sourire, il répond :"oh ben, cette année, je n'ai pas perçu le texte ainsi!!!". J'avais compris qu'un texte se traduisait suivant son feeling.
De 1997 à 1999, j'ai travaillé au secrétariat d'anglais avec Mme Marronnier. Je me souviens m'être fait envoyé paître par un personnel de la scolarité. J'ai croisé M. Mc Crate qui me demanda pourquoi je bougonnais. il me dit qu'il allait demander le papier dont j'avais besoin. Il sortit et je lui ai demandé comment il a fait pour obtenir aussi vite ce qu'il voulait. Il e dit :" vous savez, je leur souris. Ca les trouble!!"
Un jour, il demande à un étudiant de licence d'aller lui chercher un café à la machine. il lui donne de l'argent. L'étudiant revient avec le café et veut lui rendre la monnaie. M. MC Crate refuse la prendre. L'étudiant rétorque "je note que je vous dois de l'argent". Dans son humour scottish, il dit "non, notez qu'un Ecossais n'a pas voulu récupérer sa monnaie".
M MC Crate manque à l'UPJV et il mériterait que le bureau qu'il a occupé au bâtiment D 1er étage porte son nom!!!
Stéphane Berthellier
étudiant en LCE sorti en 1992 à 1999
Témoignage de cboinet le 18/03/2013 à 20:45
Remember … Prof. Jim McCrate …
I remember Prof. McCrate with a picture of his small office at the Faculty, strewn with papers, manuscripts, and bookshelves filled to overflowing.
I wish one had a tenth of his energy when he spoke about P.D. James. Come rain or sunshine, every day, he wore a nice jacket, a bow-tie and coordinated garments, on top of which his famous blue duffle coat; and he carried his umbrella under the cold rain and the whipping wind of Picardy! Of course, he drove to the university, and certainly as a true Glaswegian, he was used to this kind of weather.
I have been fortunate to take three undergraduate courses with Prof. McCrate. I could have listened to him talk for hours about paintings by Gainsborough or Italian painters. We could nearly weep while he was reading excerpts from Jane Austen or laugh out loud when he read Spike Milligan ... I sat through Monday morning translation classes and I loved every minute. It was learning for learning’s sake, infinitely more valuable to me than other courses in British Literature.
Every student should have had a Professor like Jim McCrate, and while I was happy he retired on his own terms, I felt sad for future students who would not experience his classroom.
I will never master the withering look as he peered over the top of his reading glasses at the beginning of class and asked: "Can anybody tell me where we are in the translation?" and instantly make us all understand that we had again put our translation pretensions – ahead of clarity and/or focus, and over the next two hours he was going to explain word-by-word exactly how we had failed.–
There are moments when I teach in my kindergarten class, or in the upper primary level, when I can sense I move beyond the mechanical teaching of English into the passionate, and in those magic, but fleeting moments, my pupils are maybe for the first time learning to think and speak in English.
I remember how in his end-of semester comments, he said we needed to be more confident and concerned about the quality of the writing and that our translations were the feelings of the writer.
I am not sure any of my pupils over the years have felt I am not so confident, but I have tried to make all understand that my allegiance is to the quality of their enjoying the language. And if the chance presents itself, I will tell them about the teacher who taught me that. – Professor Jim McCrate –.
I have now come to understand that learning does not always end when the class or course does. Some insights and understandings are iterative and cumulative. Pupils or students arrive at them after repeated exposure, as the evidence mounts and their skills and experiences deepen. Other intellectual development happens when they are finally ready to learn.
Some students can be very hard to read. It is not always easy to determine what effect the course is having, or will have on them or on us. Sometimes we do see the evidence; pupils excel and we share their success. But many times there is no evidence. He or she passes through the course without appearing to have been touched.
I was touched and I had a solid grasp of what I hoped I would take from Prof. McCrate’s course.
It is not Prof. McCrate’s academic area which I remember best, but that his knowledge was expansive. One student once had asked how he became interested in Arts as well as Literature. "Oh, I’ve traveled and read a lot, that’s how it started".
Now, you know, I had always intended to thank him, to tell him how his introduction to Literature has resulted in a lifetime of pleasure. But I arrived there too late. I can only say my thanks with these lines.
Caroline Boinet,
University of Picardy Jules Verne,
Faculty of Modern Languages and Foreign Cultures,
From 1992 to 1995.
Témoignage de NBourlet le 27/11/2012 à 15:11
J'ai de Jim Mc Crate le souvenir d'un professeur très inspirant, immensément cultivé, très intentionné - parfois trop, toujours inquiet de l'impact qu'il avait sur nous, il s'excusait souvent - très attentif à nos moindres réactions, les analysant dans le but d'améliorer le contact. Je le trouvais timide mais il m'impressionnait.
Un moment dont je me souviens comme si c'était hier: un jour qu'il avait dû amener sa fille Elise à l'université : l'immense fierté dans son regard comme si ce petit bout de femme était le plus beau cadeau que la vie lui ait jamais fait. C'était probablement ce qu'il devait ressentir...
Nathalie Bourlet, ancienne etudiante de l'UPJV et aujourd'hui professeur d'anglais au collège Stanislas, Outremont, Quebec, Canada
Témoignage de Penovici le 07/07/2012 à 22:34
"Ce n'est pas parce qu'il y a de la neige sur le toit, qu'il n'y a plus de feu dans la cheminée !"
C'est ainsi que mon professeur cheveux poivre & sel s'est présenté lors du premier cours de thème en LEA 1987... Cette jolie phrase était accompagnée du sourire malicieux que nous connaissons tous.
Il nous faisait travailler dur, mais toujours dans la bonne humeur. Je lui dois beaucoup, y compris la fierté et le bonheur d'avoir obtenu un 18 en thème en 2e année, surtout qu'il a précisé que c'était la première fois qu'il donnait cette note ! J'avais gardé un souvenir indélébile de mon professeur de français, grâce à laquelle j'ai appris cette langue et Jim l'a rejointe sur la brève liste de personnes qui ont marqué ma vie.
L'idée de ce site est géniale. Puissent toutes ces pensées lui parvenir!...
Elena
Témoignage de ABonnaud le 06/07/2012 à 17:42
Christiane, je l'ai connue à l'Ecole Normale. Nous avions 16 ans. Elle était de la promotion d'avant, car, excellente élève, elle était en avance d'une année. Studieuse, douée, elle voulait réussir.
Puis, par hasard, nous nous sommes retrouvées collègues d'anglais au collège de Rivery. Je ne l'ai pas vue tout de suite, car elle attendait Elise. Elle n'est revenue qu'à la rentrée 1978. Nous avons alors sympathisé, Jim, Christiane, Jean-Pierre - mon mari - et moi, et avons partagé beaucoup de moments conviviaux.
Puis, nous avons fait, Christiane et moi, un long moment de route ensemble ; des échanges de deux semaines avec les élèves de 4ème ; quinze jours de bonheur et de responsabilités partagées. Toujours logées dans les mêmes familles, certaines folkloriques ! Christiane, toujours au régime, devait ingurgiter plusieurs plats de féculents à chaque repas ! Crise obligeait déjà. Mais il fallait absolument regarder le sport à la télé, passionnée de tennis, de rugby et de foot... S'il n'y avait que ça ! Le bridge aussi la passionnait. Elle sillonnait la campagne picarde pour s'y adonner. Avide aussi, de musées, de culture en général, tout ce qui pouvait enrichir notre quotidien.
Et puis, il y a eu cette saleté de maladie ; des larmes versées - ce n'était pas son genre - dans la salle des profs quand elle a eu connaissance du diagnostic ; un véritable couperet, elle, qui ne ratait jamais un rendez-vous médical ! Et alors, je l'ai suivie tout au long de sa maladie ; elle faisait face, semblant d'y croire mais le coeur n'y était pas !
Elle nous a reçus, tous les amis, avec son turban de remplacement, et son sourire inégalable ; et elle est partie en Angleterre avec Jim pour une journée, elle en fut épuisée mais heureuse ! Jim n'a pas lâché sa main tout au long du voyage.
Après deux années de souffrance, le voyage s'est terminé le 17 février 1999. Elle n'avait que 57 ans !
J'en garde un souvenir tenace, ineffaçable... et dire que Jim a suivi, lui aussi. Aucun n'aura goûté aux joies de la retraite et Dieu sait qu'ils avaient des projets ambitieux ! Ils laisseront tous deux l'image d'êtres comme nous tous, certes, mais quelque part, hors du commun. Je les associe dans ma mémoire et dans ma grande peine de les avoir perdus. Mes pensées s'envolent maintenant vers Elise, Vincent et Tom, qui ont beaucoup souffert.
Annik Bonnaud, professeur d'anglais au collège de Rivery
Témoignage de FBrown le 06/07/2012 à 15:34
Gallivanting : an outing with Jim
Jim and I set off from the campus in the morning, feeling like naughty schoolchildren playing truant. Jim was proudly showing off in his sleek new black Clio, which was just as dapper as its owner. It was a Vivaldi kind of day : blue skies and billowing clouds. And as if on cue, Jim produced a Vivaldi CD and soon we were bouncing along on a very brisk rendition of the Four Seasons by Il Giardino Harmonico. Perfect for mischievous middle-aged truants !
But don’t be mistaken, we were setting off for Somewhere : this was serious, not aimless gallivanting. And there was a Cultural Dimension to our outing. Our destination was Le Cateau-Cambrésis, Matisse’s birthplace. Matisse’s parents were marchands de couleurs there. “Colour merchants”, an apt occupation for the genitors of such a wonderful colourist.
Le Cateau-Cambrésis, a rather nondescript and lacklustre little town half-way between Saint Quentin and Valenciennes , would have remained obscure had it not been Matisse’s birthplace. Matisse inaugurated the museum in 1952. It has since been transferred to an XVIIIth century palace built by the Cambrai archbishops, surrounded by a beautiful park bordered by three-century-old lime trees. Le Cateau has become a favourite destination for Matisse fans like Jim and I.
On the day we visited the museum, it was hosting .. a Chagall exhibition, Chagall and the Bible, with many colourful illustrations of the Old Testament. Matisse was nowhere to be seen, Chagall was ubiquitous. Och well …. We were hungry, so did not linger : we headed for an old-fashioned brasserie. We had already decided that since we were being naughty, we might as well extend our naughtiness to the contents of our plates : so we ignored the healthy salads on the menu, and ordered two hearty flammekuechen, washed down by ale and followed by gigantic ice-creams. This was our day out, and we might as well make the most of it ! Gallivanting with Jim was fun. I miss him.
A Scottish joke (to tell the joke, use a strong Glaswegian accent for the lady, a posh English accent for the man)
(Somewhere in Glasgow )
Man : Excuse me Madam, could you tell me how I can get to the Burrell Collection (*) please?
Woman : Burrel collection ? I danae know no burrel collection. I don’t even know what a burrel is !
(*) The Burrell collection is a famous private museum set in Polok Country Park in a suburb of Glasgow . It is named after its donor, Sir William Burrell, a shipping magnate.
A saying
Under the stiff British upper lip, there is a wobbly chin.
Francoise BROWN, professeur d'anglais à la faculté de langues et cultures étrangères, UPJV
Témoignage de moniquecrampon le 20/06/2012 à 10:10
Mes souvenirs de J.Mac Crate sont liés à des rencontres qui n'ont rien d'universitaire. D'abord j'ai gardé en mémoire l'image très ancienne (années 78...) d'un monsieur avec une poussette qui se dirigeait tous les matins (vers 8h.15) vers l'école où il emmenait sa fille, rue Saint Fuscien ( moi-même en voiture j'allais dans l'autre sens , dans une autre école...) Et plus tard, j'ai eu le plaisir de faire vraiment sa connaissance, dans le couloir de la faculté ( des lettres) où il a pendant de longues années dispensé ses cours à nos étudiants, qui n'étaient pas forcément les plus motivés... Mais, dans ses rencontres, nous ne parlions ni d'anglais, ni de latin, nos deux disciplines, mais plutôt de musique,car il était un mélomane très averti, et je crois qu'il était aussi musicien, j'ai le souvenir en effet de l'avoir entendu dans la salle de musique du regretté Francis Morel , dans la rue Lemerchier , où tous deux habitaient. Et c'est finalement dans un train que nous avons parlé le plus longuement (1 h10 durée du Amiens-Paris), en présence de ma fille, qui s'apprêtait à partir pour l'Ecosse. Ce jour-là, il nous vanta avec un enthousiasme communicatif les charmes des cités de son pays...
Je garde donc le souvenir ému d'un collègue passionnant, discret et cultivé à la fois et d' un excellent pédagogue.
Monique Crampon,
Professeur à l'UPJV
Témoignage de acrepin le 05/06/2012 à 17:16
James Mc Crate reste pour moi un ami mystérieux. Certes j'ai eu sous mes yeux de doyen de la faculté qui l'a recruté (initialement comme "assistant associé") toutes ses coordonnées administratives. Son nom et sa prononciation, roulant et savourant chaque son, proclamaient l'origine écossaise. L'état-civil révèle peu de la personnalité. Poil noir, vêtements noirs, Jim me paraissait appartenir au monde de Joris-Karl Huysmans, dont il était spécialiste. Il était aimé de nos collègues femmes, elles écoutaient avec une sympathie quasi maternelle ses plaintes sur sa santé, qui était fragile. Il était doué d'une sensibilité artistique exceptionnelle, d'un sens musical inné et consciencieusement affiné. Je regrette de n'avoir pas su provoquer davantage d'échanges critiques avec lui, et bénéficier de son authentique culture, de l'originalité sincère de son jugement.
André CREPIN, doyen honoraire de la faculté des Lettres et Sciences Humaines de l'université de Picardie Jules Verne
Témoignage de esanniez le 20/04/2012 à 20:49
« Dans la forêt aux éclats dispersés de soleil, immobile forêt d’antique effroi, il allait le long des enchevêtrements, beau et non moins noble que son ancêtre Aaron, frère de Moïse, allait, soudain riant et le plus fou des fils de l’homme, riant d’insigne jeunesse et amour, soudain arrachant une fleur et la mordant, soudain dansant haut seigneur aux longues bottes… »
C’est par ce début de Belle du Seigneur que Jim, dans les années 80, nous accueillit pour notre premier cours de thème en Licence à la faculté d’Amiens. Il n’y allait pas de main morte et pourtant nous n’allions pas tarder à les regretter Albert et Solal. Et comment ! Les semaines suivantes, nous eûmes droit, dare-dare à la noce d’Emma Bovary, au coup de sonnette de Mr Swann qui faisait sursauter la grand-mère du narrateur, Créon contre Antigone. On savait très bien que ça n’allait pas s’arranger. Nous voltigeâmes ainsi entre Voltaire, Camus, Colette, Genevoix et le feu d’artifice Yourcenar : « Je voulais que nos soldats continuassent leur éternelle danse pyrrique aux frontières ; que tout fonctionnât sans accroc… Toute misère, toute brutalité étaient à interdire comme autant d’insultes au beau corps de l’humanité. Toute iniquité était une fausse note à éviter dans l’harmonie du sphères ». Une chevauchée fantastique de hussards côtoyait la description d’un orage insensé et dramatique, c’était le cas de le dire, sur les collines lunaires de Manosque (« Car la tempête avait un cœur, point fougueux d’où se ruait en pulsations tumultueuses, la vie de la bête massive qui s’engouffrait dans le creux des ténèbres, en haletant de ses mille nasaux vivaces et noirs… »)
Tous ces samedis après-midis passés à la faculté désertée pour cravacher sur ces examens blancs et ces bourrasques inhumaines. Mais quelles richesses, quelles découvertes nous faisions et de la littérature française et de la langue anglaise. Nous étions passionnés. Les cours de Jim affichaient complets et se déroulaient dans un silence quasi-religieux. On n’entendait que sa voix grave, de « belle basse » pour les garçons (certains d’entre nous le trouvions un tantinet snob, pourquoi pas !), « si douce et langoureuse, légèrement suave » pour les filles. Du « pur malt » comme je l’ai entendu mentionné. Il était d’une élégance simple : cravates en soie bleu, finement striées de rouge – très Oxford – chemises bleu-clair et vert aux boutons dorés et le loden par vent et par soleil.
Nous arrivions, ayant bossé comme des furieux pendant plusieurs nuits sur ses textes, virevoltant entre 4 dictionnaires et Internet n’existait pas encore. Il ne nous serait jamais venu à l’esprit de ne pas venir (cela a bien changé !!) ou d’arriver sans notre traduction toute prête (là, c’est carrément l’ère glaciaire).
Nous n’étions pas peu fiers mais très vite on déchantait. Avec la plus grande courtoisie, délicatesse, avec un calme confondant et toute gentillesse, il démontait notre tapisserie, fil après fil, pour nous retrouver le bec sur notre canevas vierge. Même Pénélope ressemblait à une novice à la fin de l’heure.
Mais le charme, le tact, il n’y a que ça et quand nous l’aurons compris, nous aurons fait un grand bond en avant.
« Cheerfulness » est un mot qui me revient maintenant. Et il lui va bien.
La traduction était un des domaines dans lesquels il excellait. Il avait traduit entre autres : Les chevaux des Rois texte portugais de Carlos Pereira, dont il assura la version anglaise ainsi que celle du sociologue et philosophe hongrois Karl Mannheim : Le Marxisme hongrois.
Des tas d’histoires couraient sur son compte ; que sa mère avait quitté l’Allemagne du jour au lendemain, pris le premier bateau pour fuir le nazisme et qu’elle était arrivée au petit jour dans le port de Glasgow, ville dans laquelle il allait voir le jour à la fin de la guerre ; qu’il avait rencontré Christiane, sa future femme, alors qu’il venait d’arriver à la faculté d’Amiens en tant que lecteur en 1973, qu’elle était alors son étudiante et que les premiers regards avaient été échangés au labo de langues… ( à chaque fois que je revois Garçon, le joli film de Claude Sautet dans lequel Montand poursuit Nicole Garcia jusque dans son labo, je pense à eux deux)… Eh bien toutes ces histoires n’en étaient pas. C’était vrai. Et comme dans la vraie vie, Jim épousa Christiane. De lecteur, il devint maître de conférence malgré quelques barrières mises dans ses roues. Christiane devint professeur d’anglais. Elise naquit. Elle est devenue depuis institutrice, elle a rencontré Vincent qui travaille dans la banque comme T. S. Eliot et puis ce fut au tour de Tom de voir le jour. Celui-là même qui rit tout le temps de bonheur, qui a le regard de son « grandpa » et qui se souvient encore des balades, de la musique, des jeux et des gâteaux.
Du reste, il n’était pas peu fier Jim, quand il sortait avec lui le samedi après-midi. Un vrai Sautet, quoi !
Au fil des années d’étudiant, je devins collègue et puis ami. Nous ne nous sommes presque pas quittés tout ce temps. Car Jim et l’amitié, c’était quelque chose et pour Christiane aussi. Il appartenait à cette classe d’enseignants et il y en a peu, dont la porte de bureau était toujours ouverte. Quand on avait un problème, c’est vers lui qu’on se tournait. Le problème n’était pas forcément résolu mais de lui en avoir parlé on se sentait mieux. Et puis souvent, il nous donnait la solution avec son éclatant humour « britscot » et son intelligence.
Il adorait converser. C’était un « story-teller » remarquable. C’était du grand art. Quand il descendait en ville faire une course, cela pouvait prendre des heures car tout le monde le connaissait et l’arrêtait pour échanger quelques mots ou pour entamer les « vraies conversations » riches et passionnantes.
Il a marqué par sa modestie et son talent non seulement des centaines d’étudiants mais aussi d’innombrables esprits. On se sentait un peu ignorant face à lui mais ce n’était certainement pas de lui qu’émanait ce sentiment.
Grand travailleur il a porté à bout de bras de nombreux grands projets pour notre université. Le projet Erasmus lui doit presque tout.
La porte de son bureau n’était pas la seule à rester ouverte. Celle de son adorable et pimpante maison amiénoise l’était également à tout moment. Et déjà lorsque nous n’étions encore que des étudiants. Mais Christiane et Jim savaient très bien que nous n’en abuserions pas. C’était à l’anglo-saxonne, le côté « Tea and sympathy » chaleureux avec l’arôme d’un délicieux espresso qui flottait au-dessus de nous.
Il était entouré de centaines de CDs de musique classique et d’opéras dont il raffolait sans parler des mélodies françaises, anglaises et allemandes qu’il connaissait par cœur.
Homme méticuleux, perfectionniste à l’extrême (pas un grain de poussière n’échappait à son attention), esthète et raffiné, il apportait tant de soins à sa personne, à son intérieur, à son jardin et aux autres. « A well-rounded person ». Un homme bien.
Il avait le sens du beau et le goût de l’harmonie qu’Elise et ses deux hommes en s’installant à leur tour dans la maison d’enfance vont perpétuer à leur manière.
Ses anciennes élèves ont ce regard qui brille, encore sous le charme de ce patient gentleman, posé et charmeur. Un « honnête homme » dans le plus pur style 18e, un homme des Lumières. C’est lui, je pense, qui nous a donné le goût du français beau et bien parlé. Français qu’il aimait tant mais en seconde position, après l’allemand son véritable amour, qu’il parlait également couramment.
Parmi les souvenirs des uns et des autres qui reviennent tels des éclairs de bonheur :
- Je revois , sous le regard songeur d’Elise, Christiane à Venise à qui je faisais la courte échelle pour qu’elle puisse apercevoir Marcello Mastroianni attablé au Harry’s Bar.
- Je me souviens des mêmes Christiane et Elise abasourdies par la beauté d’un jeune séminariste, réincarnation totale de Julien Sorel sur la terrasse de l’île des Arméniens face au Lido.
- Je reprendrais bien aux beaux jours le chemin de San Miniato al Monte sur les hauteurs de Florence avec Jim et Christiane, Patricia et Pierre, Liliane et Ronald pour surplomber ce que le monde peut nous offrir de plus harmonieux.
- Réécouter une mélodie interprétée par sa vénérée Janet Baker, qu’il aurait tant aimé faire venir à Amiens pour quelques Master classes avec les étudiants ou un lied de Strauss par la non moins adulée Elizabeth Schwarzkopf qu’il avait rencontrée dans une auberge au cœur des Alpes Bavaroises quand il était étudiant.
- Encore une promenade dans les jardins de Vita Sackville West au printemps à s’échanger quelques pages de Virginia Woolf, l’amante, ou à Scotney dans les ruines romantiques qui nous rappellent toujours le Manderley de Rebecca de Winter.
- Réentendre sa voix au téléphone (son « allô, bonsoir » dans les graves les plus soutenus), même un peu angoissé le matin du mariage de sa fille comme tous les pères de la mariée.
- Le voilà, qui ressort ravi, aux anges, d’avoir visité la maison et le jardin d’Henry James à Rye alors que nous courrions, véritables mécréants, dans tous les sens pour trouver du Shiraz australien pour le shuttle du retour.
- Jogging le long de la Somme avec Pierre ; car il était aussi très sportif notre intellectuel mais bien moins que Christiane, l’hyperactive, grande « tennis-woman », tenace, curieuse et perfectionniste, souriante jusque dans la défaite.
- Les thés dans le charmant jardin parfaitement organisé
- Christiane et Elise arrivant dans la salle à manger, rouges, échevelées et très fières avec le risotto à la Cipriani : « Ce n’est pas tout à fait comme chez Harry. Le leur colle moins j’ai l’impression, mais le parfum, ça c’est le même ! »
- Anne-Marie, la fidèle, se souvient de son grand ami spontané, des clématites et des roses nervurées et inouïes qu’il lui offrait ; des chauves-souris qu’il lui disait aimer et qui lui font si peur à elle et de cet instant où une buse passa, les frôlant presque dans le jardin poétique.
- Je crois que, parmi nous, personne n’a oublié les joyeuses soirées de l’Anglo-saxon club que notre camarade Ariane animait d’une main dynamique, efficace et sympathique, les parties de fléchettes sur l’affiche (quelle honte !!) du Go Between de Joseph Losey (j’ai réussi à sauver les beaux visages de Julie Christie et d’Alan Bates. Ils sont accrochés près des livres de Jim sur un des murs du Labo de Langues).
Le pub ne désemplissait pas. Entre les cours, dans la journée, nous pouvions ainsi retrouver nos professeurs venus se restaurer et bavarder un peu avec eux.
Le soir, il se redorait aux couleurs de l’Ecosse pour les Burns Nights. Tous en kilts (enfin pas tous !), après le compliment d’usage aux « lassies » par un des convives, Ariane nous régalait, en fine connaisseuse d’un excellent « malt » ambré et de grandes portions de haggis et de pommes de terre chaudes qu’elle avait fait mijoter toute la journée. Et puis, venait le moment des danses traditionnelles avant d’enchaîner dans la nuit des rocks endiablés. Tout le monde voulait y participer. Nathalie se souviendra certainement, comment elle faisait le mur de son pensionnat pour nous rejoindre au volant de sa 2CV.
-Et puis, l’invitation à prendre le thé chez Fortnum and Mason qui ne devait pas être honorée, malheureusement.
Christiane l’énergique, la rieuse est partie en premier ; après ce voyage à Florence auquel elle tenait tant et pour lequel elle ranima ses dernières forces, se levant aux aurores avec son amie Liliane pour se précipiter dans l’interminable file des Offices. L’idée du voyage nous en avions parlé pour la première fois à la sortie du film de Bertolucci Beauté Volée, séduits par les paysages harmonieux et sensuels des alentours de Sienne.
Nous avions beaucoup rêvé sur ce projet. Nous voulions retrouver cette terre rouge qui ressemble à celle de Scarlett et de Tara. Celle du sud profond, cette terre de bâtisseurs de cathédrales au milieu des cyprès, cette terre si lumineuse que nous étions persuadés – et nous le sommes toujours – que la couleur avait été trouvée là un beau jour quelque part entre San Galgano et Pienza.
Et puis du rêve, nous étions passés à une triste réalité qui allait bientôt nous rattraper tous et il avait fallu faire vite, très vite. Ce fut chose faite. Je pense à elle chaque fois que Juliette Binoche vole au beau milieu des fresques de l’Abbaye de Sant' Anna in Camprena à la lumière des torches allumées par son ami indien – tout en veillant sur son patient anglais.
Jim a continué le chemin avec Elise, puis Vincent, puis Tom avec ses anciens amis et puis des nouveaux. Mais sans sa douce compagne, ce ne fut plus tout à fait la même chose. Quelque chose était définitivement cassé.
Il est parti seul à Rome. L’Italie le tenait lui aussi désormais. Il est parti en Orient pour enseigner et découvrir. Il a continué son enseignement. Il était devenu très désabusé à la fin (comme nous le sommes à notre tour aujourd’hui) car la tâche qui n’avait été que plaisir, devenait de plus en plus ardue, avec des étudiants moins motivés, « râleurs », rechignant devant le moindre projet et avec un niveau en anglais plus que douteux. Il me demandait parfois : « Raconte-moi comment se passaient les cours à ton époque et le plaisir que vous aviez, tous ». Cela réussissait à l’apaiser car le temps du bonheur avait duré plus longtemps.
Il avait lui aussi abandonné et depuis belle lurette Belle du Seigneur et la noce Bovary. Et puis, le temps de la retraite – adorant la peinture – celle des vénitiens, des flamands et des impressionnistes, il se mit à peindre (il avait d’ailleurs un très beau coup de pinceau multicolore, plusieurs de ses œuvres l’attestent). Et puis la maladie revint hanter les abords et s’installa pour de bon. « Route terrible accomplie, son vaisseau est au but, la victoire est acquise ! » - Whitman a toujours su trouver les mots justes.
Et aujourd’hui, me voilà avec plus de mille volumes en langue anglaise, d’où le but de ce site, la bibliothèque de Jim. Jim’s bookcorner – des piles et des piles de livres comme dans les librairies de Charing Cross presque toutes disparues. A bookcorner pour la mémoire et l’avenir. Bookcorner qu’Elise m’a confié. Et il dénote bien l’éclat de sa culture phénoménale – « hippopotamesque » comme le dit si bien Anne-Marie – du sens des valeurs humanistes. L’honnête homme est au cœur de chacun de ses livres.
Je les ai gardés pêle-mêle, dans le plus grand désordre (alors qu’Elise les avait classés avant de les mettre dans les cartons), tout un été. Chaque soir, ou plutôt chaque nuit, je descendais à la cave étouffante pour les regarder, les ouvrir au hasard, découvrir un auteur, retrouver une carte postale entre deux pages, une carte de visite, un dessin d’enfant (Elise ?), un ticket de métro, une entrée pour le Grand Palais, pour compléter une bibliographie, deviner si tel volume était le choix de lui ou d’elle, commencer un zeste de classement…
Certains peuvent considérer cela comme une indiscrétion, entrer dans l’intimité d’un livre qui a appartenu à … car quoi de plus intime qu’un volume qui a appartenu à … ; pour moi, c’était un rendez-vous avec Christiane et Jim, pour être proche d’eux et sentir leur présence au milieu de ces milliers de volumes tel un personnage de Farenheit 451.
Les volumes sont aujourd’hui hébergés dans le laboratoire de Langues du Staps où j’enseigne l’Anglais. Ils sont à vous tous et ce site aussi. Vous êtes les bienvenus. La bibliothèque ne va cesser de s’agrandir ; les étudiants et notamment ceux de l’IUTA qui ont déjà commencé à beaucoup emprunter, ajouteront ici et là de nouveaux volumes de leurs collections personnelles.
Christiane Pion, enseignante d’Anglais à Beauvais, m’a confié il y a quelques années certains volumes de la collection de sa mère, également enseignante d’Anglais dans les années 30. Je les ai mélangés avec ceux de Jim. Si bien que sur les premières pages de certains romans on trouve parfois Cavillon, Oxford 1930 ; Christine Pion, Hartford Connecticut 1960 ; Mc Crate, Salzburg 1967. Les livres restent quand même les meilleurs guides pour vous faire traverser le monde, les siècles, les apparences, les rêves et les miroirs. Une intimité, oui ! Mais quel cadeau et quel échange !
« 1 000 volumes en anglais chez les futurs professeurs d’EPS ??!! » me dit-on étonné. Eh oui ! Pour certains, c’est un peu comme de louer une voiture quand on arrive à Venise. C’est oublier les villas palladiennes le long de la lagune.
Les avoir là, à portée de la main, c’est rassurant, chaleureux et réconfortant.
Les rayonnages sont multicolores (je crois que l’orange et le blanc des Penguin Books domine quand-même) et ils éclairent admirablement la pièce.
Jim adorait James Joyce. Il l’avait dévoré, étudié, enseigné, traduit.
Tous ses volumes de Joyce et sur Joyce ont pris le chemin des studieux écoliers grâce à une de mes anciennes étudiantes devenue amie (tiens ! tiens !) Virginie. Ils sont en sécurité à St Gérand-Le-Puy, près de Vichy dans le centre consacré au génial irlandais qui avait passé là quelque temps avec son fils pendant la guerre. Vous trouverez d’ailleurs un lien direct de notre site au leur. Les Joyciens du monde entier y viennent consulter, étudier, se replonger au cœur de cette journée homérique de Leopold Bloom.
Jim Mc Crate a enseigné toutes ces années au sein d’une belle équipe – celle de nos professeurs qui nous ont convivialement reçus, dignement enseigné, fortement guidés et marqués, qui nous ont aidé à creuser plus profondément ce sillon amoureux et tendre que nous avions déjà pour la langue de Wilde et Richardson. Qu’ils en soient tous ici remerciés : Christine et Jean Degeorge et Roland Beaucousin nos professeurs Higgins de phonétique et des monologues shakespeariens, retravaillés encore et encore pour faire triompher le R.P. ; Bernard Galtier pour la politique et le journalisme et les « short-stories » de Bradbury et d’Asimov, Bruce Kohler et son magistral cours de « creative writing » pendant lesquels on s’imaginait vraiment être des étudiants anglo-saxons écrivant leurs premières nouvelles. Jean-François Egéa qui nous ouvrit les barrières de Walden, Roger Lejosne et ses versions diaboliques, Raymonde Emery et Dickens, Françoise Bolton et Rodrick Random ou Huck Finn, Sylvie Schwalb et Josette Florent nos grammairiennes attitrées, Margaret Cadoux qui ramenait tout Virginia Woolf dans un panier d’osier, André Crepin et son cher Beowulf. Un de ces professeurs lorsque je lui parlais de ce temps arrêté, de cette parenthèse enchantée que furent nos années de fac à Amiens me répondit : « C’est parce que tu étais plus jeune. ». Je ne le pense pas. Par contre, une chose est sûre, ces journées passées sur le campus en si bonne compagnie, à travailler, à découvrir, à aimer au milieu de la nature (peu s’était construit aux alentours ; le berger y venait encore avec ses moutons et ses chiens. Certains jours, en cours il était difficile de s’entendre à cause des aboiements, des bêlements et des clochettes !), nous donnait cette impression que nous ne mourrions jamais. Et je la ressens encore aujourd’hui très fortement.
Finissons avec Belle du Seigneur, puisque c’est ainsi que tout a commencé :
« Car ce que je vais tenter, nul homme jamais ne le tenta, sache le, nul homme depuis le commencement du monde ! Oui, frère, tout l’argent que tu voudras ! Ainsi dit-il, et de joie il châtia sa botte avec sa cravache, et il alla vers son destin et la maison où cette femme vivait. »
Que soient remerciés très vivement celles et ceux qui de près ou de loin, nous ont aidés à la construction de ce site. Anne pour le filon d'or, Brigitte, Jean, Adeline et Dorine pour la partie technique, leur accueil, leurs idées et leur talent ; Shân, Evelyne, Mickaël, Fatma, Jean-François, Margaret et Bernard pour la vie collégiale et les doigts sur le clavier, ainsi que Patricia, Evelyne et Marie-Annick ; Carole, Ariane, Anne-Marie, Nicole, Annick, Véronique, Liliane, Pierre au chapitre des souvenirs, amis et anciens étudiants, avec ou sans album photo sous le bras. Si j’en oublie, qu’ils me pardonnent et nous le fassent savoir.
Nous vous invitons à laisser également un témoignage, un mot, un souvenir sur ce même site. Car un être humain, c’est un puzzle dont chacun d’entre nous possède un morceau.
C’est à vous.
Eric Sanniez
Ce site est bien sûr dédié à Elise, Tom et Vincent
Témoignage de psicard le 20/04/2012 à 20:37
Jim était à la fois d'une grande gentillesse et d'un humour féroce qu'il n'hésitait pas à exercer à l'égard de ses compatriotes : « les Écossais ne sont pas avares, ils ont les poches profondes et des bras trop courts » tout autant qu'à l'endroit des prétendus pédagogues. Il aimait engager la conversation avec un sourire, pouvoir échanger tout en restant plutôt secret.
Il manque à l'ancien que je suis devenu la silhouette familière de Jim, toujours impeccable, le glissement de son pas discret. Un peu de l'âme de cette faculté à laquelle nous sommes si attachés est partie avec lui.
Pierre Sicard, angliciste, faculté de langues et cultures étrangères - UPJV